18e Printemps des Poètes
DU 5 AU 20 MARS
manifestation nationale et internationale
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LE GRAND VINGTIÈME
d’Apollinaire à Bonnefoy, cent ans de poésie
« J’appelle poésie cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux grands ouverts (…) » Louis Aragon
Cela ne fait pas de doute : on peut affirmer aujourd’hui, avec le recul nécessaire, que le XXe siècle fut pour notre pays et la Francophonie un siècle de poésie majeure. Après la déflagration dadaïste et surréaliste, qui a permis une invention formelle sans précédent et refondé l’enjeu existentiel et subversif de la poésie, jamais peut-être un temps n’a produit autant d’œuvres considérables par leur portée et leur singularité : Claudel, Apollinaire, Supervielle, Cendrars, Saint John Perse, Éluard, Breton, Aragon, Michaux, Ponge, Prévert, Queneau, Tardieu, Senghor, Char, Guillevic, Césaire, Bonnefoy, Jaccottet mais aussi Jacob, Marie Noël, Jouve, Reverdy, Desnos, Follain, Malrieu, Angèle Vannier, Cadou, Vian, Andrée Chedid par exemple…et tant d’autres à la voix plus discrète mais au timbre rare. Lisons et relisons : nous vous invitons à une pêche miraculeuse !
Le Printemps des Poètes 2016 sera l’occasion de célébrer les 50 ans de la collection emblématique poésie/Gallimard, née en mars 1966, où se trouvent réunies toutes les grandes voix du siècle passé.
Explorons également l’extrême foisonnement marqué par la diversité de l’édition du XXe (Guy Levis Mano, Pierre André Benoit dit PAB, Seghers, Rougerie, Soleil noir par exemple…) et la multiplication des revues.
Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes
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“Apologie du poète”, ouverte à tous, cette nouvelle page sur le site du Printemps des Poètes permettra à ceux qui le souhaitent de faire partager leur attachement à tel ou tel poète.
Il pourra s’agir d’un témoignage pour ceux qui auront connu le poète en question, d’un portrait, d’une étude ou d’une simple rêverie…
Nous lirons toutes les propositions qui nous parviendront et retiendrons celles qui nous paraissent les plus pertinentes.
Le texte ne devra pas dépasser 3.000 signes (équivalent deux pages dactylographiées)
INTERVIEW – Le philosophe français, membre de l’Académie française, a dressé en 2012 le portrait de Petite poucette, symbole d’une génération transformée par le numérique. Trois ans plus tard, Le Figaro a lui demandé de ses nouvelles.
En 2012, Michel Serres a publié Petite poucette. Le philosophe français, membre de l’Académie française, y livrait une vision optimiste des transformations provoquées par le numérique. Son héroïne passe ses journées les pouces collés sur l’écran de son smartphone. Elle accède à une montagne de savoir sur Wikipedia. Dialogue sur Facebook. Elle et ses amis «peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent, ni n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants. Ils n’ont plus la même tête», écrivait le philosophe.
Ce type de transformation, qui bouscule les civilisations, est rare. Il y a plus de deux mille ans, l’écriture a provoqué une première vague de transformations économiques, juridiques, politiques, pédagogiques et religieuses. Durant la Renaissance, l’imprimerie a conduit à de nouveaux bouleversements. Selon Michel Serres, nous vivons aujourd’hui la troisième de ces grandes révolutions, période extraordinaire de nouveautés, mais aussi de crises. Alors que les ordinateurs et les smartphones nous conduisent à externatiliser notre savoir, notre mémoire, «que reste-t-il sur nos épaules? (…) Sommes-nous condamnés à devenir intelligents?» questionne le philosophe.
Trois ans après la parution de son livre, Le Figaro a souhaité prendre des nouvelles de Petite poucette et de ses amis.
LE FIGARO. – Depuis que vous avez fait le portrait de la Petite poucette, le numérique n’a pas cessé d’évoluer. On nous propose désormais de porter des lunettes et des montres connectées. Après avoir assisté à la mutation de notre mémoire, va-t-on perdre peu à peu l’usage de notre corps, remplacé par des avatars numériques?
MICHEL SERRES. – Depuis la question posée par le sphinx à Œdipe, on sait que les vieillards peuvent marcher avec une canne. La technique servait déjà à suppléer une déficience, comme le font ces nouveaux objets. On a ensuite inventé les lunettes pour le regard, ou encore les pacemakers. Pour autant, le fait que j’ai une canne, des lunettes ou un pacemaker n’a pas bouleversé l’Humanité au point de considérer que l’on était tous obligés d’en utiliser. C’est la vieille idée que la technique est terrible, qu’elle va nous dévorer. Je remarque simplement que le numérique n’a pas encore trouvé son expression originale. Avec le smartphone et l’ordinateur, où il est encore question de page, il est toujours pris dans le format du livre.
Depuis la parution de votre livre, nous avons aussi assisté, dans la Silicon Valley, à un regain d’intérêt pour la méditation, tandis que l’on voit fleurir des théories prônant la déconnexion. Va-t-on assister à un reflux du numérique?
C’est une réaction d’équilibre. Il y a quinze ans, le soulier de randonnée a connu une envolée de son chiffre d’affaires. Les gens étaient tellement dans les villes qu’ils ont voulu aller à la campagne, en plein air. Dans la Silicon Valley, et je connais les gens dont vous parlez, ils méditent, car ils ont perdu la religion de leurs ancêtres et que le monde technique n’est pas tout. Dès qu’il y a quelque chose de nouveau, tout le monde a peur. Il est même très à la mode de dire que ce qui va nous arriver est terrible. L’innovation est invisible, mais les gens redoutent le changement. Aujourd’hui, nous sommes déjà dans le numérique. C’est fini. Il n’y a pas de doute là-dessus. En revanche, je ne sais pas quelle dimension cela va prendre. Il est impossible de le savoir. Le téléphone a été inventé pour permettre aux belles dames d’écouter de l’opéra de chez elles. Comme vous le voyez, son usage a beaucoup changé depuis.
Vous faites l’éloge de la «pensée algorithmique» et du code. Ce que nous voyons aussi, c’est que les algorithmes de Facebook ou de Google peuvent façonner la manière dont nous suivons l’actualité, dont nous prenons des nouvelles de nos amis. Nous rendent-ils vraiment plus libre?
Quand on vous demandait de raconter vos vacances, vous les racontiez déjà selon des codes bien précis, qui étaient la syntaxe française, le sens des mots, l’orthographe. C’était votre individualité, mais c’était aussi un passage par des codes. L’individu qui inventerait lui-même son propre mode d’expression ne serait pas compris et parfaitement paranoïaque. Vous passez toujours par un code commun. Qu’il soit la propriété de monsieur Google ou de monsieur Facebook, c’est là un autre problème et l’objet de grandes discussions aujourd’hui. Il y a deux groupes, ceux qui sont pour une possession privée, ceux pour une possession d’État. Ce sont selon moi presque deux Big Brother. Entre l’un et l’autre, cela m’est presque égal. Je préfèrerais des appropriations plus parcellaires.
C’est-à-dire?
Un capital est en train de se former, qui est le capital des données. La question est de savoir qui sera le dépositaire de ces données. De même que les notaires sont en grande partie les dépositaires de mes secrets, de mon testament, de mon contrat de mariage, parfois de mon argent, il nous faudrait inventer des «dataires», des notaires des données. Elles ne seraient confiées ni à un État, ni à Google et à Facebook, mais à un nuage de dépositaires. Et ce serait au passage une nouvelle manière d’exister pour le notariat.
Vous avez choisi de parler de la Petite poucette, au féminin, car les dernières décennies «virent la victoire des femmes». Les entreprises du numérique, pourtant, restent en grande partie dirigées par des hommes…
Depuis cinquante ans, je constate que les femmes sont en tête des concours et des examens. On se moque que ces entreprises soient toujours gouvernées par des hommes. Le numérique révolutionne la société par le bas, non par le haut. Ce que nous avons fait est en train de changer le monde. Cela ne vient pas des patrons, de la hérarchie, mais des découvertes que nous avons faites à la base. Voilà pourquoi c’est imprévisible. Personne n’avait décidé que l’on utiliserait Internet pour faire du covoiturage jusqu’à Tours.
Le pouvoir pris des géants du Net dans nos vies ne vous inquiète-t-il pas?
On sait qu’il existe d’importants pouvoirs. Mais le scandale des révélations d’Edward Snowden a prouvé qu’une seule personne pouvait les mettre à mal. Toutes ces sociétés sont fragiles. Nous avons déjà connu trois âges. Celui du matériel, avec IBM que l’on a tendance à oublier, celui du logiciel avec Microsoft qui ne va pas très bien, et celui plus sociétal, avec Google et Facebook. Ce sont des géants très fragiles. Je crois que les nouvelles technologies favorisent énormément la démocratie, le «peer to peer», et le pouvoir de Petite poucette comme individu. Dans l’Antiquité, il n’y avait pas d’individu. Il y avait les Athéniens, les Juifs, les Égyptiens. Peu à peu, l’individu est né. C’est Saint-Paul qui l’invente et puis il a fallu Saint-Agustin, Descartes, les autobiographies. Petite poucette a moins de libido d’appartenance que ses prédécesseurs. Elle est peut-être le premier individu de l’Histoire.
Le sommeil est indispensable au développement et à la maturité cérébrale. Il permet la mise en place de certains circuits neuronaux. Un animal privé de sommeil n’acquiert par exemple pas la vision. En outre, il contribue à l’apprentissage et à la gestion des émotions. Une donnée associée à une émotion négative sera mémorisée et expurgée de son émotion négative au cours d’une nuit de sommeil.
Le sommeil assure des fonctions métaboliqueset de développement en régulant la production de plusieurs hormones : hormone de croissance chez les enfants, cortisol, insuline, hormones de l’appétit (leptine, ghréline). Les privations chroniques de sommeil pourraient expliquer en partie l’augmentation de l’obésité et du diabète tardif. En outre, des suivis de cohorte ont démontré le lien entre temps de sommeil réduit et obésité chez des enfants et des adultes. Les sujets qui ne dorment pas assez grignotent davantage et ont plus faim.
La qualité du sommeil est également associée à celle de la réponse immunitaire grâce notamment à la production de cytokines, avec des conséquences probables sur la susceptibilité aux infections ou la prédisposition au développement de tumeurs.
Sommeil et cognition
Le sommeil est indispensable à la consolidation des informations mémorisées pendant l’éveil. Il est donc largement impliqué dans l’apprentissage récent. Une personne qui s’endort sur une tâche tout juste apprise, améliore sa mémorisation de 30 %. Ce lien entre sommeil et cognition est prouvé mais les mécanismes cérébraux impliqués ne sont pas clairs. Ce qui est sûr, c’est qu’une restriction de sommeil à moins de 5 heures par nuit entraîne des défauts majeurs d’apprentissage. .
Edgar Morin : «Plus l’homme est puissant par la technique, plus il est fragile devant le malheur»
Beaucoup de choses doivent décroître : la surconsommation de produits inutiles, l’agriculture et l’élevage industrialisés. A l’inverse, il doit y avoir une croissance de ce que j’appelle l’économie écologisée. L’écologie est la nouvelle frontière. Des études montrent que la France pourrait être autonome à partir d’énergies propres, ce serait possible et rentable, d’abord pour la santé publique. Mais nous savons l’importance d’un lobby comme celui d’Areva, qui, malgré sa faillite, continue à peser. Ensuite, il faudrait dépolluer les villes et les «déstresser», si j’ose dire, en régulant la circulation automobile et en multipliant les transports publics. Et il faut valoriser l’agroécologie et une agriculture fermière, qui bénéficient de la science moderne. L’Etat devrait se lancer dans de telles entreprises en s’inspirant du volontarisme du New Deal de Roosevelt. Alors on dit «oui, mais il y a la dette». Mais l’Equateur, dépouillé par le néolibéralisme, a bien réussi à la reconsidérer.
L’argent de l’évasion fiscale pourrait-il financer la transition écologique ?
Oui, mais aussi une véritable transition de civilisation. Aujourd’hui, à travers la puissance financière, c’est celle du calcul qui s’impose. PIB, sondages, statistiques… On ne voit plus les êtres humains, on ne voit que des chiffres, c’est anonyme, barbare. On accélère tout au nom de la compétitivité. Ce qui conduit au licenciement ou au burn-out. Ce qui nous sauve, face à la pression de ce monde glacé et contraire à nos rythmes profonds, ce sont nos petites oasis d’amitié, de famille, d’amour. On aspire toujours à un peu de poésie dans la vie. Il faut une civilisation du «bien vivre» où cela puisse s’exprimer.
Las, la «civilisation» actuelle a de plus en plus d’emprise…
Parce qu’elle tient le système éducatif ! On nous apprend à séparer les choses et à ne pas voir la globalité. La civilisation occidentale a ignoré que nous faisons partie de la nature, de l’univers. Dans la Bible, Dieu a créé l’homme à son image. Pour Descartes, mais aussi pour Marx, l’homme est le seul sujet conscient et doit maîtriser la nature. On a vécu dans cette idée jusqu’à la conscience écologique des années 70. Il faut faire régresser cette civilisation dominante, viriloïde.
Ceci explique que si peu d’intellectuels s’intéressent à la crise écologique…
Je crois, oui. Il y a des exceptions. Il y a eu Serge Moscovici, René Dumont, André Gorz… Mais on était très isolés et on l’est encore. Et, fait extraordinaire, notre pensée n’a pas du tout fécondé les partis écologistes en France. Maintenant, vous avez cette mobilisation pour la Conférence de Paris sur le climat, dont Nicolas Hulot a pris le drapeau. C’est nécessaire, mais je doute du résultat.
N’est-ce pas pourtant l’enjeu clé du XXIe siècle, qui conditionne les autres ?
Mais bien sûr. Nous sommes des somnambules. Cela me rappelle ce que j’ai vécu adolescent, dans les années 30. La montée vers la guerre s’est faite dans l’inconscience la plus totale. Et à Vichy, non seulement on ne s’est pas réveillés, mais on est devenus encore plus abrutis. Aujourd’hui, il y a le cynisme des obsédés du profit. Mais il y a surtout un aveuglement. Ceux qui mènent la course effrénée à l’argent sont possédés par celui-ci. Je définis l’homme comme «homo sapiens demens».
De quand date votre éveil à l’écologie ?
En Californie, en 1969, j’ai lu un article intitulé «La mort de l’océan», d’Ehrlich, qui m’a frappé. J’y ai connu des biologistes voués à l’écologie. J’ai eu la chance d’être un des premiers informés. Et quand il y a eu un élan avec le rapport Meadows publié par le Club de Rome en 1972, j’ai écrit et parlé. Je suis resté alerté sur le danger, mais aussi sur le fait que, pour y répondre, il faut changer notre mode de vie, ce qui ne doit pas consister en un appauvrissement. Si vous choisissez d’une façon sélective des produits de qualité, vous êtes mieux que si vous surconsommez des produits insipides.
En 1993, dans Terre-Patrie, vous avez appelé à une «prise de conscience de la communauté de destin terrestre». Où en est-on ?
Aux préliminaires d’un commencement, à la préhistoire de l’esprit humain. Mais on peut refouler le pouvoir de l’argent. Regardez, aujourd’hui se développent les Amap, les contacts directs avec les producteurs. Et si on abandonne les produits à obsolescence programmée, ces frigidaires qui durent huit ans, si on forme les consommateurs, le pouvoir des grandes surfaces diminuera. C’est cela, la voie. Ce sera progressif, voyez comment se sont passés les changements dans l’histoire. Prenons le christianisme. Au début, c’est un phénomène invisible dans l’Empire romain. Puis il crée ses réseaux grâce à Paul et cette déviance devient tendance. Il a fallu trois siècles d’incubation.
Nous n’avons pas trois siècles…
J’aime beaucoup cette phrase de Friedrich Hölderlin : «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.» Ça sera le suicide ou le réflexe vital. On va frôler l’abîme. Je ne veux pas faire de catastrophisme, mais on voit bien que tout s’aggrave. Des incendies s’allument partout. On risque l’affrontement entre l’Occident et le monde islamique. On doit changer de voie. Pour la première fois, on sent qu’on fait partie d’une aventure commune, à cause des périls causés par la mondialisation. Cette conscience commune nous permettra peut-être de réagir. Si elle se développe.
Avons-nous des chances d’y parvenir ?
Pour le moment, pas beaucoup. Sciences, technique et économie, toutes incontrôlées, nous propulsent dans la course effrénée d’un vaisseau sans pilote. L’humanité risque de régresser terriblement, comme dans le dernier Mad Max, que j’ai trouvé très intéressant. Elle est fragilisée parce qu’elle risque de subir des guerres nucléaires, les Etats, grâce aux avancées informatiques et biologiques, ont les moyens de contrôler les esprits que n’avaient pas les empires totalitaires du XXe siècle. Et plus l’homme est puissant par la technique, plus il est fragile devant le malheur. Le pays le plus scientifique, les Etats-Unis, est le plus religieux de tout l’Occident. C’est là qu’est né le transhumanisme, qui promet l’immortalité, nouveau mythe, illusion.
Vous dites pourtant que «l’improbable n’est pas l’impossible».
Dans l’Antiquité, Athènes était une bourgade qui a été attaquée par l’énorme Empire perse. Contre toute attente, elle l’a refoulé. En 1941, avec la première défaite allemande aux portes de Moscou et l’attaque de Pearl Harbor qui décide les Etats-Unis à entrer en guerre, le probable – la victoire allemande – a cessé de l’être, et l’improbable a commencé à devenir probable. L’avenir, c’est l’imprévu plus que le prévu. C’est pourquoi je continue à garder un peu d’espoir. Je vois tous ces petits mouvements de renouveau, de civilisation, dispersés dans le monde entier. L’espoir, c’est qu’ils se rassemblent et aient enfin une pensée commune.
Le «vrai» changement ne peut-il venir que des citoyens ?
Actuellement, oui, mais cela peut venir d’un dirigeant éclairé. Le pape François en est un. Il régénère un esprit de bonté, le souci des miséreux. Malgré ses échecs, Mikhaïl Gorbatchev a eu conscience qu’il fallait sortir du système totalitaire, l’ouverture est venue d’en haut à partir d’un besoin de la base.
Comment faire pour que nous soyons plus nombreux à nous réveiller ?
On ne peut pas télécommander la prise de conscience. Il faut continuer à prêcher dans le désert et, à un moment, il y aura une étincelle, et peut-être un feu qui se propagera.
Au septième étage, dans des bureaux dont il ne reste rien, ni cloisons ni fenêtres, deux individus se plient aux lois de la hiérarchie. Tout autour d’eux est tombé, un tremblement de terre, une catastrophe ou un conflit mondial, peu importe. Un monde en ruines et dépeuplé. Mais ils sont là, ils poursuivent, ils continuent le travail, tentent de produire du travail dans le vide et entourés de trous. Ils se soumettent aux rôles professionnels, le pouvoir et l’immunité du (de la) supérieur(e), et la servilité et l’irresponsabilité du (de la) subalterne. Avec mauvaises fois, rancoeurs, jeux d’humiliations, mises à l’épreuve, jalousies, désirs, aspirations. En bas, on monte des échafaudages, dont le coût de la location a précipité dans la faillite la boîte qui les a loués pour une reconstruction hypothétique. C’est dans cette boîte précisément que travaillent les deux individus, mais à présent désoeuvrés, sans objectif, ni projet, si ce n’est celui de “ continuer toujours à travailler. ”
Pégagogies de l’échec, c’est une comédie féroce de la vanité de l’action et des rôles imposés, de la théâtralité des catégories socio-professionnelles, qui veulent tenir le coup, encore et malgré tout, dans un univers aveugle quant à sa propre érosion, sa pathétique dégringolade.
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Propos recueillis par Anne-Sophie Novel
Erik Orsenna, économiste, écrivain, membre de l’Académie Française, et ancien conseiller de François Mitterrand.
Lorsqu’on l’interroge sur son rapport au temps, l’académicien glisse spontanément : « J’aime me tromper, et le fait d’opérer chaque semaine un examen de conscience sur les erreurs que j’ai faites me permet d’avancer ». Et s’il compare le temps à une poupée russe, c’est sans doute pour mieux faire valser les idées reçues.
Le temps est-il un sujet d’inspiration pour vous ?
Le temps est d’une infinie diversité qui me ravit, une diversité plus vaste que celle de l’espace. Dans Longtemps (Fayard, 1998), je parlais d’amour et d’adultère à long terme. Et à bien y penser, ce ne sont pas les débuts qui m’intéressent. Je n’arrive pas à écrire des nouvelles par exemple, je mets tellement de temps à écrire une histoire que je n’ai pas envie de la quitter. Je suis généralement blotti dans mes histoires comme j’étais blotti contre ma mère quand elle me les racontait… Prendre ce temps, c’est comme rendre hommage à la part de féminin qui m’habite.
Comment se répartit votre temps d’écriture ?
Il s’aménage selon deux dimensions : le long terme, qui me permet de savoir deux ou trois ans à l’avance ce que je vais écrire. Je suis le comptable de ce calendrier et je rends souvent mes textes à la semaine près de la date envisagée. La seconde dimension est journalière. J’écris tous les matins de 6 heures à 9 heures, et je précise quotidiennement mes avancées sur un calendrier d’imprimeur : le nombre de pages écrites, un zéro bleu lorsque j’ai travaillé mais rien écrit, ou un zéro rouge si je n’ai pas travaillé. Il n’y a jamais plus de 10 zéros rouges par an. Ce calendrier et cette régularité relèvent d’un extrême besoin de maîtrise, c’est maladif (rires). Mon écriture est un métier, et tous les métiers sont des métiers à tisser entre les humains, dans le temps.
“Aucun livre n’est de l’ordre de l’urgence. Si c’est mauvais, c’est normal, je recommence, je travaille. L’écriture, c’est le temps”
Comment se déroule le reste de vos journées ?
Le temps est inséparable de la sieste, donc il m’arrive de faire jusqu’à cinq siestes de dix minutes par jour. Pour le reste, j’essaie de moduler les rythmes en fonction des nécessités : j’aime varier les temps sans arrêt, passer de la célérité à l’extrême lenteur. Il m’arrive même de passer des journées à ne rien faire, à devenir humus, être végétalisé… J’ai des rythmes botaniques : j’attends que ça pousse ou, comme le disait Twain, « que la citerne se remplisse ».
Avez-vous des périodes de référence sur le temps ?
Au-delà des cycles d’écriture de deux à trois ans, j’ai des cycles plus longs de vingt ans – le livre qui a eu le Goncourt [L’Exposition coloniale, en 1988, Ndlr], ce fut huit ans d’écriture tous les jours. J’aime bien être dans cette durée, c’est un jardin. Aucun livre n’est de l’ordre de l’urgence. Si c’est mauvais, c’est normal, je recommence, je travaille. L’écriture, c’est le temps. Parfois, certains ouvrages s’imposent à moi comme une nécessité : comme lorsque l’amour vient, il faut plonger, se donner corps et âme. Alors je deviens comme fou, je m’y consacre pleinement et ne dors plus que trois ou quatre heures par nuit. Après la maturation, l’arbre doit pousser. J’aime produire. Je suis tout sauf un velléitaire.
Vos périodes de maturation sont-elles consacrées à la contemplation ?
D’une certaine manière, oui. Petit Parisien, je passais mes vacances sur l’île de Bréhat. J’étais fasciné par l’ampleur des marées. Le temps des vacances était pour moi le temps des marées, le temps de l’éphémère. Dans cette île, j’ai acquis la conviction que la vérité de la vie, c’est le mouvement : je suis étonné quand les choses durent, mon monde est la métamorphose, pas la fixité, je suis gourmand du changement. Il est sans doute une vérité toute simple : la vie n’a aucune ligne, ce ne sont que des cycles… d’où le bouddhisme… les marées, Lavoisier… et l’économie circulaire.
Vous êtes académicien, vous avez le statut d’Immortel…
Ah, l’Académie ! Oui, ce sont de longs pilotis temporels. A mon fauteuil, se sont succédé des gens inconnus mais aussi des personnalités immenses comme Littré ou Pasteur. Avant moi, il y a eu Cousteau et, avant lui, Jean Delay, un psychiatre qui a inventé de nombreux médicaments. Sur ce siège, se sont assis un explorateur de l’inconscient et un plongeur dans le monde du silence… Cela explique pourquoi je crois profondément à la bienséance – à ce qui passe par le séant.
“Il faut absolument faire la différence entre l’agitation et l’action. Plus on s’agite, moins on agit.”
Êtes-vous plutôt en avance ou en retard ?
Plutôt en avance. Je suis sûr que ma longévité est inversement proportionnelle à mes retards, tout retard me ronge.
Avez-vous peur du temps qui passe ?
Pas du tout, il est mon allié, je me suis toujours dit que ce serait mieux après. Etant donné mon âge, je vis chaque journée comme un bonus. Je crois aussi profondément qu’il y a une grande articulation entre le temps qu’il fait et le temps qui passe, c’est notre agitation maladive qui dérègle le climat. Et qu’il faut absolument faire la différence entre l’agitation et l’action. Plus on s’agite, moins on agit. Descartes disait qu’il n’avait jamais travaillé plus de quinze minutes par jour. Si les gens faisaient chaque jour le bilan honnête de leur durée effective de travail, ils seraient plus efficaces et leur vision du monde en serait bouleversée.
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