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Le temps est d’une infinie diversité qui me ravit, une diversité plus vaste que celle de l’espace -Erik Orsenna

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Propos recueillis par Anne-Sophie Novel 

Erik Orsenna, économiste, écrivain, membre de l’Académie Française, et ancien conseiller de François Mitterrand.

Lorsqu’on l’interroge sur son rapport au temps, l’académicien glisse spontanément : « J’aime me tromper, et le fait d’opérer chaque semaine un examen de conscience sur les erreurs que j’ai faites me permet d’avancer ». Et s’il compare le temps à une poupée russe, c’est sans doute pour mieux faire valser les idées reçues.

"J'aime produire. Je suis tout sauf un velléitaire", dit Erik Orsenna.
“J’aime produire. Je suis tout sauf un velléitaire”, dit Erik Orsenna. Aglaé Bory pour M Le magazine du Monde

 

Le temps est-il un sujet d’inspiration pour vous ?

Le temps est d’une infinie diversité qui me ravit, une diversité plus vaste que celle de l’espace. Dans Longtemps (Fayard, 1998), je parlais d’amour et d’adultère à long terme. Et à bien y penser, ce ne sont pas les débuts qui m’intéressent. Je n’arrive pas à écrire des nouvelles par exemple, je mets tellement de temps à écrire une histoire que je n’ai pas envie de la quitter. Je suis généralement blotti dans mes histoires comme j’étais blotti contre ma mère quand elle me les racontait… Prendre ce temps, c’est comme rendre hommage à la part de féminin qui m’habite.

Comment se répartit votre temps d’écriture ?

Il s’aménage selon deux dimensions : le long terme, qui me permet de savoir deux ou trois ans à l’avance ce que je vais écrire. Je suis le comptable de ce calendrier et je rends souvent mes textes à la semaine près de la date envisagée. La seconde dimension est journalière. J’écris tous les matins de 6 heures à 9 heures, et je précise quotidiennement mes avancées sur un calendrier d’imprimeur : le nombre de pages écrites, un zéro bleu lorsque j’ai travaillé mais rien écrit, ou un zéro rouge si je n’ai pas travaillé. Il n’y a jamais plus de 10 zéros rouges par an. Ce calendrier et cette régularité relèvent d’un extrême besoin de maîtrise, c’est maladif (rires). Mon écriture est un métier, et tous les métiers sont des métiers à tisser entre les humains, dans le temps.

“Aucun livre n’est de l’ordre de l’urgence. Si c’est mauvais, c’est normal, je recommence, je travaille. L’écriture, c’est le temps”

Comment se déroule le reste de vos journées ?

Le temps est inséparable de la sieste, donc il m’arrive de faire jusqu’à cinq siestes de dix minutes par jour. Pour le reste, j’essaie de moduler les rythmes en fonction des nécessités : j’aime varier les temps sans arrêt, passer de la célérité à l’extrême lenteur. Il m’arrive même de passer des journées à ne rien faire, à devenir humus, être végétalisé… J’ai des rythmes botaniques : j’attends que ça pousse ou, comme le disait Twain, « que la citerne se remplisse ».

Avez-vous des périodes de référence sur le temps ?

Au-delà des cycles d’écriture de deux à trois ans, j’ai des cycles plus longs de vingt ans – le livre qui a eu le Goncourt [L’Exposition coloniale, en 1988, Ndlr], ce fut huit ans d’écriture tous les jours. J’aime bien être dans cette durée, c’est un jardin. Aucun livre n’est de l’ordre de l’urgence. Si c’est mauvais, c’est normal, je recommence, je travaille. L’écriture, c’est le temps. Parfois, certains ouvrages s’imposent à moi comme une nécessité : comme lorsque l’amour vient, il faut plonger, se donner corps et âme. Alors je deviens comme fou, je m’y consacre pleinement et ne dors plus que trois ou quatre heures par nuit. Après la maturation, l’arbre doit pousser. J’aime produire. Je suis tout sauf un velléitaire.

Vos périodes de maturation sont-elles consacrées à la contemplation ?

D’une certaine manière, oui. Petit Parisien, je passais mes vacances sur l’île de Bréhat. J’étais fasciné par l’ampleur des marées. Le temps des vacances était pour moi le temps des marées, le temps de l’éphémère. Dans cette île, j’ai acquis la conviction que la vérité de la vie, c’est le mouvement : je suis étonné quand les choses durent, mon monde est la métamorphose, pas la fixité, je suis gourmand du changement. Il est sans doute une vérité toute simple : la vie n’a aucune ligne, ce ne sont que des cycles… d’où le bouddhisme… les marées, Lavoisier… et l’économie circulaire.

Vous êtes académicien, vous avez le statut d’Immortel…

Ah, l’Académie ! Oui, ce sont de longs pilotis temporels. A mon fauteuil, se sont succédé des gens inconnus mais aussi des personnalités immenses comme Littré ou Pasteur. Avant moi, il y a eu Cousteau et, avant lui, Jean Delay, un psychiatre qui a inventé de nombreux médicaments. Sur ce siège, se sont assis un explorateur de l’inconscient et un plongeur dans le monde du silence… Cela explique pourquoi je crois profondément à la bienséance – à ce qui passe par le séant.

“Il faut absolument faire la différence entre l’agitation et l’action. Plus on s’agite, moins on agit.”

Êtes-vous plutôt en avance ou en retard ?

Plutôt en avance. Je suis sûr que ma longévité est inversement proportionnelle à mes retards, tout retard me ronge.

Avez-vous peur du temps qui passe ?

Pas du tout, il est mon allié, je me suis toujours dit que ce serait mieux après. Etant donné mon âge, je vis chaque journée comme un bonus. Je crois aussi profondément qu’il y a une grande articulation entre le temps qu’il fait et le temps qui passe, c’est notre agitation maladive qui dérègle le climat. Et qu’il faut absolument faire la différence entre l’agitation et l’action. Plus on s’agite, moins on agit. Descartes disait qu’il n’avait jamais travaillé plus de quinze minutes par jour. Si les gens faisaient chaque jour le bilan honnête de leur durée effective de travail, ils seraient plus efficaces et leur vision du monde en serait bouleversée.

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